Voilà bientôt une année (11 mois exactement) que dure ce que l’on peut appeler “la crise anglophone“, les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest réclament le respect de leurs spécificités culturelles par des manifestations pacifiques. Ces derniers souhaitent restaurer la forme institutionnelle du fédéralisme qui a été agréé entre la République du Cameroun et le Southern Cameroon à Foumban en 1961 entre les dirigeants Amadou Ahidjo et Foncha. Malgré les différentes formes de revendications entamées jusque-là, le bras de fer entre le gouvernement et les diverses organisations représentant la société civile de ces régions ne faiblit pas. Certains s’accorder à penser qu’une piste de résolution de la “question anglophone” ne sera possible que lorsque le problème anglophone deviendra le problème camerounais. Que pouvons-nous comprendre de la réaction des “francophones” face à cette crise ?
1. Ils disent vouloir le changement mais ont peur du changement !
Dès qu’une crise commence, un échange verbeux qui veut mettre à nu la vérité, ils pissent dans leur caleçon et s’empressent d’éteindre le feu. Au mieux, ils mentionnent le Rwanda et demandent de mettre un terme à ce qui commence-là. Je pense ici au Père Lado demandant de cesser le feu dans mon échange avec Owona Nguini en 2014, à cause… du Rwanda. J’ai vu cela aussi dans la sortie de Valsero demandant à Boris Bertolt de se taire devant l’imposture.
2. Ils sont progressistes par positionnement mais conservateurs par réflexe.
Des qu’une crise commence, ils sortent des sissonghos et donnent des conseils à Biya sur comment faire pour régler vite la crise-là. Ils lui donnent une feuille de route avec des points précis, et cela sans que le tyran demande même leur avis, oh. Je pense ici à Achille Mbembe écrivant un long texte pour dire à Paul Biya ce qu’il faut faire pour régler la crise anglophone. J’imagine ici Frantz Fanon écrivant un texte au président français pour lui expliquer comment faire pour régler la crise algérienne, afin qu’elle ne devienne une guerre de libération.
3. Les francophones sont très pressés.
Ils souhaiteraient au mieux qu’un tweet fasse que Biya prenne la fuite. Et j’ai de la peine à me rendre compte que les anglophones soient en train de se battre patiemment depuis bientôt un an ! Ma mémoire des années de braise est que dans leur crise véritable, elles n’aient pas duré autant, et je suis de plus en plus certain que ce sont les francophones qui avaient convaincu John Fru Ndi d’aller (lui aussi) négocier, noooor, et donc d’aller à la Tripartite. Rappelez-vous l’éditorial de Protais Ayangma disant aux anglophones de cesser le feu, car ils ont “déjà gagné, noooor”.
4. Les francophones croient au symbolique, à la force du “symbole politique”…
Et surtout à cette chose-là qui est la personnification du symbolique et qu’on appelle “les intellectuels”. Or, dites-moi donc qui est le Owona Nguini anglophone, car je ne sais pas qui c’est, tandis que depuis plus d’un an, les anglophones sont bien en train de nous montrer ce que c’est qu’un mouvement politique, celui-ci passant d’une protestation syndicale des avocats et des enseignants à un mouvement qui aujourd’hui met en branle les forces traditionnelles des Takumbeng.
5. Les francophones aiment débattre, débattre, et débattre…
Eh, le débat, que serait-il s’il n’y avait pas les francophones. Je ne sais pas si les anglophones débattent autant, et pourtant, quand on regarde bien, c’est dans la sphère anglophone que le débat est une culture qui se pratique depuis l’école, qui s’enseigne et se cultive. Les grands débats, par exemple, de James Baldwin et Burkley puisent dans cette tradition-là. Manière de dire qu’il y en a qui débattent pour débattre, et ce sont les francophones. Et il y en a qui débattent pour faire avancer une cause, et ce sont les anglophones.
6. Ils veulent toujours avoir un intérêt personnel réalisé.
Tel veut faire venir son enfant aux Etats-Unis et utilise le mouvement pour cela. Tel autre veut faire son petit business de la nourriture et utilise le mouvement pour cela. Tel troisième veut plutôt utiliser le mouvement pour le blanchiment d’argent. Tel quatrième, pendant ce temps, veut que le mouvement le paye. Au final, évidemment, avec autant d’intérêts particuliers, le mouvement se trouve noyauté et incapable de remplir l’intérêt général qui est sa cause.
7. Les francophones sont vraiment convaincus que Paris est important, hein, je vous jure.
Or, regardez les anglophones. Ont-ils une seule fois parlé de Londres ? Si Biya n’était pas venu à New York, seraient-ils même à New York ? Parce que les francophones croient que Paris est important, dans un monde pourtant éclaté, les Parisiens alors se croient le centre du monde. Et il faut voir ça, la véritable sorcellerie. Un certain Njikam (ou Njimbam, mais bof) qui njote une photo avec Kemi Seba et est littéralement chassé par les gardes du corps de ce dernier se présente comme le porte-parole de l’Afrique, etc, ah, c’est fou ça!
8. Les francophones croient vraiment que la France a le pouvoir de [choisir] le président du Cameroun, hein.
Et surtout que le président du Cameroun doit plaire à la France, hein. J’ai parlé une fois avec un diplomate français en Afrique du sud, et il m’a dit d’étonnantes choses- le nombre de personnes qui lui envoient leur CV, pas pour être embauchées a l’ambassade, mais pour devenir ministre dans leur pays ! J’étais avec un ami politologue qui n’avait cessé de se marrer, car eh oui, les francophones croient vraiment que la France a un pouvoir sur nous.
9. Les francophones croient en la communication.
C’est ainsi qu’un jeune francophone peut se lever le matin, faire quelques photos et les poster sur Facebook et ainsi se dire arrivé. Aller de photos en photos, d’apparition télé en apparition télé, et se dire politicien. Or voilà, le minima de cette chose-là, qui est la mobilisation, demeure la nébuleuse francophone, car le francophone est un communiquant comme il est légaliste. Un sous-préfet interdit sa manifestation, il reste à la maison. Oui, c’est comme ça. L’Etat a parlé.
10. Mais surtout, les francophones croient que Biya est fort !
Et c’est cela leur véritable problème. Ils croient qu’un homme comme celui-là ne peut pas être simplement exécuté comme les autres tyrans avant lui. Je veux par là dire que les francophones sont vraiment convaincus qu’un autre Camerounais ne peut pas mettre deux balles dans la tête de Biya, simplement comme ça, par haine, par rancune ou même pour rien. Ils en sont vraiment convaincus, oui, que Biya ne va pas mourir.
En fait, ce qui leur fait le plus peur, aux francophones donc, c’est la mort de Biya…
Par Patrice Nganang, Professeur à l’Université Stony Brook (USA)
* Les opinions présentés ici sont une contribution du Professeur Patrice Nganang, Grand Prix littéraire d’Afrique Noire. Révolté par la désinvolture des francophones vis-à-vis de la situation sociopolitique en cours, il présente les dix constats qu’il a pu en tirer.
Bonjour !
Bien que véridique sur certains points, je trouve que ton texte perd un peu de son essence à partir du moment où il fustige la communauté francophone sur un problème qui ne la concerne pas directement. Ou alors j’ai mal compris ton message…
Bonjour Ecclésiaste,
Pourquoi penses-tu que le problème anglophone ne concerne pas directement la communauté francophone ?
Ernest Renand définit une nation comme étant “une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. Le passé perçu comme commun à travers les souvenirs nationaux fonde la solidarité. Le consentement la perpétue“.
S’il est vrai que nous partageons un passé commun avec cette partie du territoire, on ne peut les contraindre au vivre ensemble. Je pense donc que l’idée d’un gouvernement fédéral n’est pas aussi mauvaise que cela en a l’air. D’ailleurs, le Cameroun est le seul pays au monde ayant deux grandes communautés linguistiques distinctes mais sous un système politique unifié et centralisé. Les USA, le Nigeria… l’ont très vite compris et on adopté un système fédéral.