Dans la majorité des pays, le secteur de la recherche scientifique est un secteur aux abois. La recherche coûte cher et les effets sont perceptibles à court, moyen et long terme pour la recherche fondamentale et ceci est rarement compris des politiques en Afrique. De plus, l’environnement actuel et les modes de financement ne permettent pas l’expression d’une recherche en réponse aux préoccupations sociales et environnementales.
L’objectif de 1% du PIB des pays africains consacré à la recherche est un boulet que traînent les décideurs politiques, malgré les stratégies adoptées. La part de l’Afrique dans la production scientifique mondiale n’est que de 3,2 %, d’après une étude panafricaine intitulée “The Next Generation of Scientists in Africa”, durant laquelle 5 700 chercheurs africains ont été interrogés. Cependant, le rapport souligne que la recherche sur le continent dépend essentiellement de financements issus d’organisations européennes, américaines et chinoises.
Seul l’Egypte figure dans le top 30 des pays en termes d’investissement dans la recherche et le développement (R&D). Pire, l’Algérie est le seul pays africain francophone qui figure dans le top 70 des pays investissant dans la recherche.
En Afrique francophone, de nombreux pays ont un budget pour la recherche et l’innovation qui est inférieur à 1% du Produit Intérieur Brut (PIB) national. Et environ 80 scientifiques et ingénieurs par million d’habitants contre près de 150, 2500 et 4000 respectivement au Brésil, en Europe et aux États-Unis. Même si les critères sont parfois à questionner, les universités africaines et plus particulièrement les universités francophones sont mal classées au plan international. Il faut arriver à la centaine pour trouver une université africaine.
Cela montre le désintérêt politique et la désinvolture que les gouvernements africains accordent au champ de la recherche et il existe de nombreux cas où les chercheurs se sont plaints de n’avoir pas reçu leurs indemnités de recherche.
Au Cameroun même, au mois de Décembre, plus d’une centaine de Docteurs PhD réalisaient une grève devant le ministère de l’enseignement supérieur, protestant contre le recrutement de 1000 nouveaux enseignants dans le système universitaire selon des critères douteux. Au cours de ces jours de grève qui avaient fait la une de l’actualité, Dr. Brigitte Lekanè, avait essayé de se suicider suite au refus du gouvernement de considérer leurs requêtes.
Le chômage et la précarité économique sont désormais le quotidien de la majorité des doctorants ou docteurs produits par les universités africaines. Dans de pareilles conditions, il est difficile pour ces derniers de mener des recherches biomédicales de pointes car l’infrastructure, notamment les laboratoires, les équipements et la technologie, ne sont pas souvent existants ou sont obsolètes et ne répondent plus aux besoins compétitifs et changeant de la recherche scientifique.
Il est vrai que certains pays comme l’Afrique du Sud, la Cote d’Ivoire, le Kenya, la Tanzanie, le Ghana etc., ont mis en place des mécanismes avec des résultats perceptibles à l’instar du financement des chaires en Afrique du Sud, le Programme d’appui stratégique à la recherche scientifique en Côte d’Ivoire (PASRES), la Commission pour la Science et la Technologie en Tanzanie (COSTECH) et le Fonds national pour la recherche et l’innovation pour le développement (FONRID) au Burkina Faso pour ne citer que ceux-là. Mais rares sont ceux qui peuvent compétir avec les laboratoires internationaux et les universités des pays occidentaux ou asiatiques.
Par ailleurs, l’Afrique regorge d’une
multitude d’instituts et de centres de recherches mais rarement des
“universités de recherche” car, l’enseignement qui se nourrit de
la recherche prime dans les stratégies des institutions académiques et
d’évaluation de la science.
Je suis donc d’avis avec Bassirou Bonfoh, directeur
général du Centre suisse de recherches scientifiques en Côte d’Ivoire (CSRS), qui
résume
ces obstacles en 3 points :
- le manque d’expression d’une culture de la recherche,
- l’environnement de la recherche peu propice à l’expression des talents,
- l’absence de mécanisme institutionnel d’accès aux fonds compétitifs de recherche et de la production scientifique.
En effet, bien que les Etats africains contribuent indirectement à la recherche à travers la formation de base des cadres, la création des universités et des centres de recherches, cette contribution est faible et peut être améliorée. Le besoin essentiel du chercheur, au-delà de la formation, est la mise à disposition d’un fonds de roulement lui permettant non seulement de conduire ses recherches mais d’en vivre.
Importance du COVID-19 pour la Recherche Scientifique
Le virus du COVID-19 est venu révéler le rôle dichotomique de la science qui peut contribuer autant au développement qu’à la destruction de l’humanité.
Corona révèle l’importance de poursuivre les programmes de recherche même pendant les périodes « calmes ».
Le laboratoire d’Etienne Decroly, “Architecture et fonction des macromolécules biologiques”, basé à Marseille, travaillait sur le coronavirus depuis l’épidémie du SRAS en 2003.
“Mais la majorité des projets qu’on avait sur ce virus étaient en stand-by, en partie à cause de problèmes de financement“, a-t-il regretté. “Une société moderne doit assumer le fait qu’on cherche dans différentes directions, sans savoir pour autant, au préalable, quelles vont être et d’où vont venir les avancées majeures“, a souligné Etienne Decroly.
Corona révèle l’importance de créer de bonnes conditions de travail pour les chercheurs.
De nombreux chercheurs scientifiques peinent à joindre les deux bouts. En Afrique, rares sont ceux qui ont la prétention de vivre uniquement de leurs activités de recherche. Avec la crise du Corona virus, cette scientifique a sarcastiquement révélé cela, en comparant les salaires pharaoniques des footballeurs à ceux misérables des scientifiques de laboratoire.
Le Corona entraine une augmentation des budgets liés à la recherche
En France, Emmanuel Macron a annoncé jeudi 19 mars 2020 l’augmentation de cinq milliards d’euros sur 10 ans le budget de la recherche en France, un “effort inédit depuis la période de l’après-guerre”, selon le chef de l’Etat.
Par ailleurs, 50 millions d’euros vont être débloqués dans le cadre du fonds d’urgence pour la recherche sur le coronavirus. Ils viendront s’ajouter aux 8 millions d’euros déjà débloqués pour la recherche sur le Covid-19.
Au Canada, le gouvernement a financé 47 projets de recherche qui contribueront à comprendre et stopper la pandémie du corona virus.
De nombreux autres pays vont certainement suivre cet exemple de la France et renforcer leurs infrastructures, technologies et ressources (financières) dédiées à la recherche et à l’innovation, afin d’être mieux préparées à faire face à de pareilles pandémies à l’avenir. C’est le plus souvent face à l’adversité que nait la résilience et le progrès.
Les pays africains ne doivent point attendre que le vaccin soit produit par des laboratoires étrangers pour ensuite s’en servir. Ils doivent également se mettre au travail pour trouver une solution à même de contenir ou stopper ce virus. A défaut, une collaboration avec les praticiens de la médecine traditionnelle pourrait s’avérer utile, comme je l’indiquais dans cet article.
Lire aussi: Pourquoi il faut intégrer les guérisseurs traditionnels dans le système de santé national
5 challenges pour le développement de la médecine « traditionnelle » en Afrique
S’il existait de robustes centres scientifiques en Afrique francophone, il aurait été possible d’avoir plus de données sur le nombre de victimes du Corona Virus, le potentiel impact sur les économies nationales, le nombre d’initiatives citoyennes de soutien ou de prévention, le nombre de populations défavorisées affectées et bien d’autres. Or ces données existent dans les pays étrangers disposant de solides infrastructures de recherche.
En définitive, le Corona Virus, à long terme, aura un impact positif sur la recherche et l’innovation. Le COVID-19 pourrait encourager de nombreux Etats à revoir leur budget dédié à la recherche et à l’innovation, à reconsidérer les salaires des scientifiques et techniciens de laboratoire.
Concernant les Etats Africains, ces derniers pourraient profiter du COVID-19 pour remettre la recherche au centre des stratégies académiques et politiques, former davantage de chercheurs non seulement à la rédaction des projets, mais aussi à l’administration et à la gestion de la recherche ; et impliquer les académies des sciences et le secteur privé.
Enfin, les Etats, surtout Africains, doivent créer davantage de fonds dédiés à la recherche afin d’être mieux préparé face à des pandémies comme le COVID-19. Les citoyens cependant ont un rôle important à jouer, celui de mettre la pression sur les politiciens afin qu’ils soutiennent de manière durable la recherche de qualité au service de la société. Si la recherche et l’innovation sont véritablement une question d’importance cruciale pour les citoyens, ils feraient en sorte que cela génère un vrai débat médiatique pour non seulement attirer l’attention du politique, mais générer des actions concrètes.