Est-il possible de mettre un terme à l’hégémonie de Batman, Superman ou Spider Man sur l’imaginaire africain ?
Est-il possible que Guardian Prime, le Superman africain, protecteur du genre humain, crée en 2013 par Jide Martins de Comic Republic, puisse rivaliser aux Quatre Fantastiques, Spider-Man, Hulk, Iron Man ou encore les X-Men crées dans les années 60 par Stan Lee et Jack Kirby de Marvel Comics?
Kweti, le premier Super-héros africain publié en 2014 par Loyiso Mkize, peut-il rivaliser avec Batman de Marvel Comics ?
A ces questions rhétoriques, je réponds OUI ! Comme je l’ai souligné dans un précédent post, il s’agit davantage d’un enjeu symbolique qu’économique. La perception que l’on a du monde influence considérablement notre représentation au monde. Ce qu’on pense définit ce qu’on est et dans une large mesure ce qu’on a. En effet, l’imaginaire est un facteur déterminant pour booster l’action. Or la bande dessinée ou le cinéma d’animation a cette capacité, à travers les superhéros qu’elle peint, d’insuffler la confiance en soi et la fierté d’être africains à chacun de nos enfants.
Ces derniers ne se verront plus seulement comme des vaincus, des rescapés, des malnutris, des naufragés mais se verront comme des conquérants, des sauveurs, des bienfaiteurs, des personnes capables d’impacter positivement le monde. Et c’est là que ça change tout. Parce qu’à partir du moment où on a confiance en soi, on est capable n’importe quoi. Quand on est capable de rêver grand et bien, l’impossible devient possible. Si vous croyez que vous pouvez faire quelque chose, alors c’est possible. La seule limite existante est celle que vous vous mettez.
« Nous devons d’abord faire en sorte de changer le regard misérabiliste que beaucoup portent souvent sur nos pays» , observe à cet effet le dessinateur nigérian Roye Okupe, cofondateur de YouNeek Studios.
Dans les années à venir, Jide Martins espère voir le nom Comic Republic devenir une référence aux cotés de nom comme DC et Marvel. Et aussi que les enfants, dans leur jeu ou moment de doute, pourront dire : « Que ferait Ananse ? Guardian Prime ? Kwesi ?..
Mais pour y parvenir, il est important de lever certains freins et obstacles au développement de la bande dessinée sur le continent.
Le 9ème art africain est un art reconnu
En tant que langage, la BD africaine entretient un rapport avec les médias. D’une part, les quotidiens, hebdo et magazine (presse écrite) demeurent le principal lieu d’éclosion des artistes. Beaucoup de dessinateurs y ont publié leurs premières planches et d’autres y ont commencé comme caricaturistes. C’est le cas par exemple de Joël Ebouémé Bognomo, caricaturiste et illustrateur jeunesse, actuellement chargé des expositions au sein de l’ONG Irondel, une association qui lança depuis 1999 la première édition du festival de caricatures et de l’Humour de Yaoundé.
D’autre part, la BD est à comprendre aussi comme média au service de la société. La BD remplit les trois fonctions traditionnelles des médias : informer, former et divertir ses lecteurs. Elle explique parfois aux lecteurs ce qui se passe dans leur société et éduque en leur montrant ce qu’il ne faut pas faire ou les attitudes à adopter. C’est le cas par exemple du magazine 100% Jeune qui a eu un très grand impact dans les campagnes nationales de sensibilisation contre le VIH SIDA auprès de la jeunesse camerounaise.
…mais un média méconnu
Cependant, la BD africaine est un média méconnu parce que confrontée à de multiples difficultés qui freinent son développement et surtout son éclosion en tant que média à part entière. Il s’agit, entre autres, du manque de formation des artistes, du manque de maisons d’édition spécialisées, de l’insuffisance des circuits de diffusion et de distribution, de l’absence de structure de promotion du livre en tant que produit de consommation et de diffusion de la culture.
Un autre phénomène très important qui endigue la reconnaissance de la BD africaine et sa croissance concurrentielle à l’endroit de Marvel ou DC Comics, est sans aucun doute l’omnipotence de la « lecture utile » au détriment de la « lecture plaisir ». Les gens ne lisent que par nécessité ou contrainte dans un cadre scolaire. Si un jeune n’a pas de devoir ou d’exercice littéraire dans une œuvre, il est rare de le voir lire. Or la lecture plaisir, surtout celle de la littérature jeunesse, est nécessaire au développement de la personnalité et à la réussite scolaire.
De ce fait, la bande dessinée reste assimilée à la littérature enfantine. Pourtant c’est un véritable paradoxe puisque l’essentiel de la production est plutôt orienté vers les adultes. Il est donc très rare de voir un adulte lisant un album, si ce n’est dans les milieux aisés et urbains. Les raisons en sont culturelles (un adulte ne lit pas de la « littérature pour enfants ») et financières (les albums de bande dessinée coûtent très cher).
Il est donc important de soutenir la création artistique et culturelle et de mieux structurer le marché des biens symboliques sur le continent afin que les artistes puissent vivre dignement de leur travail. Pour se financer, la startup nigériane Comic Republic met en œuvre des projets parallèles avec diverses organisations. Leti Arts quant à elle survit grâce à des jeux mobiles publicitaires ou à des études de marché commandités par des organismes travaillant dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la culture ou des droits de l’homme, car ils sont conscients de l’importance que les jeunes attachent à la bande dessinée et au jeu.
Les acteurs de la filière se doivent de développer rapidement des produits dérivés de ces BD et de sortir du périmètre afro-africain pour s’étendre au reste du monde. Pour s’imposer, ils ne devront pas se limiter à créer des personnages africains pour les Africains, à conter des aventures qui risqueraient d’être perçues comme folkloriques. C’est une étape importante pour pérenniser et accroitre la vitalité du 9ème art sur le continent africain.
2 thoughts on “Les superhéros africains peuvent-ils rivalisés avec ceux des grands studios étrangers ?”