Quand la littérature jeunesse prend en otage l’imaginaire…
Dans le cadre de la préparation de la fête nationale du Ghana (6 mars) et de la journée internationale des droits des femmes, une école privée internationale d’Accra a organisé une série d’activité scolaire où les élèves ont été amenés à participer à des concours de chants, de danse, de récit et de théâtre. A l’exception de la danse qui avait une coloration légèrement locale avec de l’Azonto, le reste des activités étaient fortement marqué par le sceau de l’influence étrangère. Lors de la représentation théâtrale, les enfants présentèrent le classique combat entre le « Gentil » et le « Méchant » représenté ici par Superman, Spider Man et Sangoku (Dragon Ball Z) contre Dracula, Magneto (X-Men) et Lex Luthor (Superman).
Pendant les activités, un enfant n’était pas très joyeux car ses parents n’avaient pu lui trouver le costume de T’Challa. Il voulait pourtant jouer le rôle de la Panthère Noire, le super-héros 100 % africain de Marvel. Et en parcourant furtivement la bibliothèque scolaire de cette école, je constatais qu’environ 70% du catalogue était constitué de livres jeunesses d’auteurs américains, anglais, canadiens, belges et français. La littérature enfantine locale y était noyée, à peine visible dans les rayons. Si on vous y transportait sans vous dire dans quel pays vous êtes, vous vous croiriez dans la bibliothèque scolaire d’une cité européenne ou asiatique.
Seulement quelques jours plus tard, j’assistais à une cérémonie de remise des prix d’un concours littéraire organisé à l’occasion de la Semaine de la Francophonie. La première lauréate, Yaa Laudina, une élève de 8 ans, a écrit un merveilleux récit sur Blanche Neige et les sept nains. Le second prix a été décerné à Kofi Barko, un petit garçon dont le texte reprenait les aventures de Robin des Bois ! Ces héros, ils ne les ont jamais vus autre part que dans les livres, au cinéma ou dans les dessins animés (animation).
Comment une jeune fille de 8 ans peut-elle décrire les aventures et l’environnement de Blanche Neige alors qu’il n’a jamais neigé au Ghana et qu’elle n’a jamais vu de ses yeux même l’ombre ou le fantôme d’un grain de neige ? Comment de jeunes enfants peuvent-ils se bagarrer avec des interjections chinoises : Watchaïi ! Hiyyaaa ! Wouss wouss ! Adou Get ! ou faire des jeux avec des poupées « Barbie » ?
Ces enfants Ghanéens ne sont que des exemples parmi des millions d’autres enfants, jeunes adolescents et adultes dont l’imaginaire a été longuement formaté, corrompu, virusé et pris en otage par les arts créatifs et la culture étrangère. Moi-même, je suis un fan calé-serré des aventures pirates de One Piece avec Luffy et son équipage (Zoro, Sanji, Nami, Chopper, Brook, Robin, Franky, …). Inconsciemment, ces héros de bandes dessinées, de comics, de cinéma… s’ancrent dans notre conscience. On s’identifie à eux et ils parviennent ainsi à coloniser notre imaginaire alors qu’ils n’ont parfois rien à voir avec nos réalités quotidiennes, nos mœurs, nos traditions et pratiques quotidiennes.
De l’importance pour nos enfants de s’identifier à des héros africains
Des générations d’africains ainsi grandi sans pouvoir s’identifier ou se reconnaitre dans un super-héros africains. Mais avec la révolution numérique et technologique, les choses bougent et évoluent. Des artistes et créateurs africains frustrés par ces expériences sont désormais passés à l’action et créent de plus en plus de contenus qui s’inspirent de la tradition et culture africaine. L’émergence d’un univers de super-héros africains apparaît aussi comme une nouvelle étape dans la revitalisation de l’imaginaire et le mouvement pour l’affirmation, par les Africains, de leurs cultures. Un préliminaire pour booster l’action.
La bande-dessinée et le cinéma d’animation ont cette capacité, à travers les héros qu’ils peignent, d’insuffler la confiance en soi et la fierté d’être africains à chacun de nos enfants. Ces derniers ne se verront plus seulement comme des vaincus, des rescapés, des malnutris, des naufragés, mais ils s’imagineront conquérants, sauveurs, bienfaiteurs, des personnes capables d’impacter positivement le monde. Et c’est là que ça change tout. Parce qu’à partir du moment où on a confiance en soi, on est capable de n’importe quoi. Quand on est capable de rêver grand et bien, l’impossible devient possible. Si vous croyez que vous pouvez faire quelque chose, alors c’est possible, la seule limite existante est celle que vous vous mettez.
Leur faire découvrir les héros de BD made in Africa et leurs créateurs.
Contrairement à la Tornade de la série X-Men de Marvel, et à T’Challa dans Panthère noire, qui sont tous deux originaires du pays imaginaire de Wakanda en Afrique, les personnages de Eyram Tawiah, Olivier Madiba, Barly Baruti, Elyons… sont d’authentiques Africains nés et élevés sur le continent. Plus besoin de s’identifier à des ninjas, des ogres, des chaperons rouges, des dragons, des elfes car selon Hilaire Mbiye Lumbala, la BD africaine est un art reconnu qui possède elle aussi ses propres héros. Nous pouvons mentionner par exemple Yirmoaga au Burkina Faso ; Zoba Moke au Congo Brazzaville, Mata-Mata et Pili-Pili, Apolossa au Congo démocratique ; Dago, Monsieur Zézé et Cauphy Gombo en Côte-d’Ivoire ; Bibeng et Tita Abessolo au Gabon ; Tékoué en République centrafricaine ; Boy Melakh et Goorgoolou au Sénégal, etc.
Plus récemment, citons Olivier Madiba de Kiroo Games dont le jeu vidéo Aurion a été adapté en bande dessinée, grâce à l’illustrateur et dessinateur Georges Pondy. Il est désormais disponible ici. Eyram Tawiah, avec son application mobile Afrocomix, vous donne accès à des contenus africains (BD, fonds d’écrans, courtes animations…) inspirés des récits et de la culture africaine et destiné au public africain, à la diaspora et à toute personne ayant soif de contenus originaux et authentiques sur l’Afrique.
Au delà de ces contenus digitaux, vous pourriez également emmener vos enfants à des événements où ils pourront rencontrer les créateurs de ces univers fantastiques. Cela renforcera le lien affectif qu’ils entretiennent avec ces héros de bandes dessinées. Je pense par exemple au Festival Mboa BD au Cameroun, au Salon de la bande dessinée de Kinshasa, au Festival Coco bulles d’Abidjan, le Salon de la bande dessinée de Bamako, Îl’en bulles de Port Louis (Île Maurice), Gazy bulles de Tananarive (Madagascar), les festivals de Tétouan, au Maroc, et Tazarka (12 éditions), en Tunisie. Et enfin et surtout le Festival international de bande dessinée d’Alger qui propose un plateau important d’auteurs européens et africains.
De nos jours, plusieurs associations de dessinateurs œuvrent sur le continent. On peut citer au Mali, le Centre de la bande dessinée de Bamako qui regroupe au sein d’une même structure tous les dessinateurs professionnels du pays ; à Kinshasa, Kin Label qui édite un journal du même nom. Enfin, on peut également citer l’association L’Afrique dessinée ou AfriBD, qui regroupent des dessinateurs africains évoluant en Europe et qui interviennent régulièrement sur le continent.
Voilà j’espère que cet article vous aura sensibilisé davantage sur l’importance d’acheter, d’offrir ou de faire lire des bandes dessinées ou livres jeunesse africains à vos enfants ou même ceux du voisin 🙂 . Si vous le faites déjà en tant que parent, prière de partager votre expérience en commentaire. Si vos parents l’ont fait pour vous, dites nous comment cela vous a influencé. A bientôt !
1 thought on “Quand la bande dessinée kidnappe l’imaginaire des enfants africains”