Le voyage le plus inutile de l’année 2018

Le vendredi dernier, je recevais un appel d’une institution internationale qui voulait planifier mon entretien d’embauche, suite à une candidature envoyée 6 mois auparavant. Ayant déjà trouvé un emploi, j’étais assez hésitant et le fait que je devais voyager pour aller faire l’entretien dans une autre ville, n’arrangeait pas trop les choses. Après réflexion, je décidais finalement d’accepter ce voyage pour Kumasi, située à plus de 443km d’Accra.

Pourquoi ? me demanderais tu certainement.

Tout simplement parce que l’entretien était pour un nouvel emploi dans le secteur de l’éducation, une passion de premier ordre pour moi comparé au secteur de la communication digitale dans lequel j’exerce actuellement. Le rendez-vous d’entretien fut donc fixé pour le lundi à 11H30.

Je passais ainsi le weekend, aspiré par le travail sur d’autres projets et ce n’est que lundi matin aux environs de 1h20 que je daigne me consacrer à la préparation de mon entretien. En effet, j’allais être testé. Il fallait donc que je prépare le scénario et le contenu de ma présentation. Déjà amorti par la rédaction de mon dernier article scientifique sur l’industrie africaine des jeux vidéo, je devais donc puiser toute parcelle d’énergie restante en moi pour y parvenir. Mais c’est là que le ndem (l’imprévu) allait commencer.

A 3h21, j’étais en train d’imaginer le scénario de la présentation quand je fus pris en otage, arrêté et emprisonné sans sommation, par Morphée.

Ce n’est qu’à 6h12, que j’ouvris les yeux. J’étais enragé contre moi-même car j’avais prévu aller à la gare vers 4h30 au plus tard, pour prendre les premiers bus à destination de Kumasi. Je ne m’étais même pas encore douché…

7h43 : Enfin ! J’arrivais à la gare routière. Comme je le craignais, les premiers bus matinaux étaient déjà partis. Puisque l’entretien était à 11h30, je me dis que je pouvais bien y arriver si je trouvais le bus qui quitterai le plus tôt possible. Un cœur me souffla de ne point voyager, mais je décidais de ne point l’écouter en achetant mon ticket.

8h54 : Enfin ! Le bus se décidait à bouger. Ouf !  La gorge nouée par l’anxiété, j’imaginais déjà ce bus avec des ailes. Mais les klaxons tintamarresques des embouteillages me ramenèrent vite à la réalité. J’ouvrir les portes du livre d’Eyram Tawiah “Uncompromising Passion”, pour échapper aux critiques de ma conscience qui me disait :

« Cédric, on t’a maudit avec le retard ? Pourquoi ne t’es-tu pas couché tôt pour te lever tôt ? Sais-tu que ça donne une très mauvaise impression d’arriver à un entretien d’embauche en retard ? »

Heureusement, la lecture du livre m’enivra et me livra aux dérives de l’imaginaire de l’auteur, qui racontait sa passion pour les jeux vidéo et les bandes dessinées depuis son enfance.

10h15 : Le bus faisait la 1ère pause du trajet, me permettant de me détacher momentanément du voyage imaginaire dans lequel la lecture m’avait plongé. Il était 10h15. Je fis instantanément le calcul mental. Il ne me restait plus que 1h15 minutes. En m’adressant à mon voisin, je priais secrètement que nous soyons déjà à mi-parcours :

  • Nous sommes à combien d’heure de Kumasi svp ?
  • Humm ! Entre 3 et 4h monsieur ! Nous sommes encore très loin ! me rétorqua-t-il après avoir regardé par la vitre pour voir le lieu où nous étions.

J’avalais une grosse boulée de salive, réalisant qu’au mieux j’arriverai à 13h15 ou 14h15 au plus tard.

14h46 : Enfin ! Je suis à Kumasi ! Les longues heures de route m’ont permis d’achever de lire l’histoire de Tawiah. A la descente du bus, j’appelle un Uber mais constate qu’il n’y en a aucun de disponible pour ma destination. Me voilà qui tombe alors les fameux « Trotro », moyen de transport populaire au Ghana. J’étais convaincu de ce que l’Institution où je me rendais devait être au centre-ville.

Mais après 20 minutes dans le bus, je m’enquérais auprès du « motorman » (assistant du chauffeur) :

  • Please this place is still far from here (Svp, ma destination est-elle encore loin d’ici ?)

Il me répondit en Twi, la langue locale. Je n’avais rien compris : kickok ! Et je ne savais point comment le dire en dialecte local. Frustré, cela me rappelait l’urgence de m’inscrire à des cours de Twi pour compléter mon intégration au sein de la société ghanéenne.

Motorboy_petit chauffeur_trotro _ accra
Un motorman en quête de passagers à Accra @Flickr

Heureusement, il « ramassa » un nouveau passager et ce dernier comprenait l’anglais. Après consultation, il m’informa que ma destination était encore à au moins 1h de notre position.

J’étouffais de rage. J’avais envie de me gifler, hurler ou simplement sauter par la fenêtre. Mon retard était exagéré ! Je me rappelais qu’il fallait appeler pour prévenir de mon arrivée, même tardive. J’appela et la secrétaire m’indiqua que les séances d’entretien étaient clôturées depuis belle lurette et qu’il n’était plus nécessaire que j’y vienne.

Là, j’ai pensé descendre du bus et ne plus y aller. Mais à quoi cela servir a-t-il d’avoir fait tout ce trajet pour ne même pas arriver à destination ? Ne penseront-t-ils pas que je ne suis pas sérieux ? Ayant confirmé ma présence sans pour autant apparaitre le jour J ? Après réflexion, je me résignais donc à poursuivre le chemin, espérant trouver au moins un membre du staff pour leur expliquer ma mésaventure et au moins leur prouver que j’étais effectivement présent dans la ville pour mon entretien.

16h37 : C’est à cette heure que j’arrivai enfin à l’institution. Le gardien m’informa que le staff et l’ensemble du personnel administratif avaient déjà quitté les lieux depuis 16h. J’ai essayé d’appeler la secrétaire mais la ligne ne passait plus.

La rage qui consumait déjà mon cœur s’enflamma davantage. Je répétais interminablement « Merde ! » « Sokcellerie ! » « Foutaise ». Si j’avais eu un mur devant moi à l’instant, je l’aurais défoncé à mains nues. Que devais-je faire ? Dormir en espérant obtenir un nouvel entretien le lendemain matin ? Ou rentrer sur Accra ? Après tout, on ne m’avait accordé qu’un seul jour d’absence au travail. En dormant, je risquais ainsi perdre une nouvelle journée de travail. Et je n’étais même pas certain qu’il accepterait de m’accorder cet entretien.

Après réflexion, je me résignais à rentrer sur Accra. Sur le chemin du retour, j’ai pensé à toutes les dépenses réalisées pour en arriver là. J’ai pensé à toute cette fatigue et tracasseries engrangées dans les transports. Et cela me laissa un gout amer : je venais surement de réaliser le voyage le plus inutile de mon année 2018.

La rage passée, mon esprit s’exerça à dénicher les leçons que je pouvais et devais tirer de cette expérience. Car pour moi, toute chose ou évènement a toujours un côté positif. Il suffit d’adopter le regard nécessaire, changer de paradigme pour s’en apercevoir. Voici donc les trois leçons que j’en ai tiré:

1. Ne jamais s’engager à moitié dans un projet, aussi petit soit-il.  

Après la confirmation de l’entretien, j’ai beaucoup hésité sur la nécessité de voyager. C’est pourquoi j’ai paressé dans sa préparation. J’aurai pu appeler des amis résidant à Kumasi pour avoir une idée sur l’emplacement du lieu où je me rendais avant d’y aller. J’aurai même pu voyager le dimanche soir pour arriver très tôt le lundi matin. J’aurai pu… J’aurai pu…

2. Ne jamais sous-estimer un projet, aussi minime soit-il.

If you fail to plan, you plan to fail ! Planifier c’est prévoir l’imprévisible. Je me suis dit que ce n’était qu’un petit voyage. Je n’ai par conséquent pas pris les mesures nécessaires pour le préparer sérieusement. Cette négligence est la principale cause d’échec de ce voyage. Un projet peut sembler insignifiant mais avoir des conséquences significatives. Et c’est en gérant les petits projets qu’on apprend à gérer de plus grands.

3. Mieux vaut reconnaitre et accepter une bêtise tôt puis changer de trajectoire que de persister dans la bêtise.

Un tiers aurait tout simplement annulé son voyage en constatant que les premiers bus du matin étaient déjà partis. Car ne voulant point arriver en retard. Un autre, parvenu à Kumasi très tardivement, n’aurait pas poursuivi le trajet ou serait immédiatement rentré après avoir appris que les entretiens étaient clôturés. Mais… comme je sais parfois être têtu comme une mule, j’ai insisté, résisté au découragement et persisté dans ma bêtise. J’aurai pu épargner de l’argent et du temps en reconnaissant et stoppant ma trajectoire plus tôt.

Mais bon !

Je me dis aussi qu’il fallait que ça arrive. Ça fait désormais partie de mon expérience. Les gens vous voient souvent bien faire les choses et pensent que c’est facile. Ils ignorent les nombreuses défaites, échecs, découragement, crises, conflits que vous avez enduré et surmonté pour en arriver là. Grace à cette expérience, je préparerai désormais mieux mes futurs voyages même s’ils ne sont qu’à quelques kilomètres de distance comme Mbanga-Loum (pour aller visiter mon arrière grande mère) ou Dschang-Bafoussam (pour aller dans mes mapanes 😊).

A+

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