Noura Hussein, jeune soudanaise, a été condamnée il y a quelques jours à la peine de mort par pendaison pour avoir tué son mari alors que celui-ci essayait de la violer une seconde fois. Selon moi, elle est, comme toutes les jeunes filles mariées très jeunes et de force, une double victime : premièrement victime d’un mariage forcé et prématuré et deuxièmement victime de viols conjugaux. Mais cette fois-ci, au lieu de subir la situation, la jeune femme a refusé la soumission et a défendu sa dignité. Doit-elle être condamnée pour cela ? Doit-on tolérer les cas de viols conjugaux ou toute autre forme de violence faite aux femmes (violences physiques et violences spychologiques) ? Les maris sont-ils propriétaires du corps de leurs épouses ? La femme doit-elle accepter d’être instrumentalisée et considérée comme un objet, un objet de plaisir pour l’homme ? Telles sont les questions que ce drame pose et auxquelles je tente de répondre dans cette analyse.
Une histoire tragique qui fait de la jeune femme une victime
Le père de Noura Hussein avait décidé de marier contractuellement sa fille à son cousin, issu d’une famille très riche. Mais, pour échapper à ce mariage précoce et forcé, Noura s’est enfuie à Khartoum pour rejoindre sa tante. Après trois années passées à Khartoum, elle a reçu un appel lui disant que le mariage avait été annulé et qu’elle pouvait rentrer. Désireuse de voir sa famille, elle est donc revenue chez ses parents… pour finalement constater qu’elle avait été dupée puisque les préparatifs de son mariage étaient en cours ! Cette fois-ci elle était prise au piège. Elle ne pouvait plus échapper à ce mariage pour lequel elle n’avait pas été consultée, mariage arrangé, décidé par son père sans le consentement de Noura. On ne lui a pas demandé son avis, elle devait être docile et se résigner à accepter ce destin, un destin que d’autres avaient décidés pour elle et qui deviendra rapidement tragique.
En avril 2017, après avoir terminé ses études secondaires, la jeune fille avait dû déménager chez son mari. Mais Noura Hussein refusait toujours d’avoir des rapports sexuels avec l’homme qu’on lui avait imposé comme mari (Abdulrahman Hammad). Face au refus de la jeune épouse, le 2 mai 2017 le mari sollicita trois de ses cousins afin de la retenir physiquement au sol pendant qu’il la violait. Le lendemain, alors qu’il essayait à nouveau de la violer, elle réussi à s’échapper dans la cuisine où elle attrapa un couteau. Une bagarre s’ensuivit, la jeune femme essayait de se défendre pour ne pas subir un autre viol, elle donna un coup de couteau à son mari qui succomba. Elle fut alors emmenée à la police puis présentée à la justice soudanaise qui l’a déclarée coupable d’« homicide volontaire ». Noura est aujourd’hui condamnée à mort par pendaison. Selon les lois, ses avocats ont 15 jours pour faire appel de ce verdict.
Un tollé international
Le soutien d’organisations internationales telles que l’Union africaine, les Nations Unies et l’Union européenne est nécessaire pour faire la lumière sur la situation de Noura et prendre conscience de l’injustice qui lui est faite.
Selon Amnesty International : « La peine de mort est le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant. L’appliquer à une victime ne fait que souligner l’échec des autorités soudanaises à reconnaître la violence qu’elle a endurée. […] Les autorités soudanaises doivent annuler cette condamnation manifestement injuste et s’assurer que Noura ait droit à un nouveau procès, équitable, qui prend en compte ces circonstances atténuantes»
« Noura est une victime, pas une criminelle, et devrait être traitée comme telle. Dans de nombreux pays, les victimes comme Noura recevraient des soins pour s’assurer qu’elles surmonteront le traumatisme de leurs expériences » a déclaré Yasmeen Hassan, Présidente Mondiale d’Equality Now, qui a initié avec Afrika Youth Movement, la rédaction d’une lettre officielle de clémence au président Omar al-Bashir.
« Où va le monde ? L’homme est-il un loup pour l’homme ? N’est ce point-là l’application de la très controversée loi du Talion ? Sinon comment comprendre que la famille de l’époux ait choisi la mort au lieu de l’indemnisation monétaire. La mort par pendaison de la jeune Noura va-t-elle ressusciter le défunt ? Ne serait-ce pas une mort inutile ? Où est l’essence et l’éthique du pardon ? » s’interroge, Ngnaoussi Cédric de Moremi Initiative for Women’s Leadership in Africa.
Le rôle des réseaux sociaux pour dénoncer l’inégalité femme-homme et l’injustice faite aux femmes au Soudan
L’écrivaine soudano-américaine Sara Elhassan fait partie des premières personnes qui ont utilié Twitter pour que cette histoire largement occultée depuis mai 2017 gagne en visibilité. Elle a appelé à la criminalisation du viol conjugal qui est courant mais tabou au Soudan. Comme beaucoup d’autres, elle a découvert cette affaire par le biais d’un article partagé sur WhatsApp. Les médias sociaux jouent un rôle important pour lutter contre les injustices car ils révèlent à tous des situations inacceptables. Ainsi, grâce aux réseaux sociaux, l’histoire de Noura a reçu l’attention qu’elle méritait et cela déclenche de nombreuses réactions. Le hashtag #justicefornoura et la pétition sur Change.org ont déjà rallié plus de 70 000 voix de par le monde.
Au Soudan, les médias sociaux ont déjà joué un rôle important par le passé, par exemple lors du mouvement de désobéissance civile de 2016. Les gens avaient alors organisé des grèves pour protester contre les hausses de prix et les coupures de subventions de carburant. Bien que l’internet soit inaccessible à une grande partie de la population au Soudan, et que la liberté de l’Internet soit décrite dans ce pays comme ” fragile ” par Freedom House, dans le cas de Noura un mouvement de soutien est né et les militantes du pays sont en première ligne (par exemple Walaa Salah).
Un hashtag a été créé – #justicefornoura – il continue de gagner du terrain, ceux qui sont à l’origine de la campagne de soutien envers Noura espèrent que leurs efforts ne seront pas vains. Déjà, en avril 2016, des étudiants de l’Université Rhodes en Afrique du Sud avaient protesté en ligne contre les violences faites aux femmes, ils avaient organisé une manifestation contre l’attitude de l’institution à l’égard du viol et de la violence sexuelle en utilisant les hashtags #nakedprotest et #rureferencelist.
Ce n’est pas la première fois que les femmes du continent africain créent des campagnes sur les réseaux sociaux pour dénoncer les injustices. En novembre 2014, la vidéo d’une femme agressée à un arrêt de bus dans la ville de Nairobi, avait créé un tollé. La vidéo montrait qu’elle avait été déshabillée et agressée par un groupe d’hommes qui prétendaient qu’elle était habillée de façon indécente (ce qui justifiait, selon eux, leur agressivité). Des femmes ont alors utilisé le hashtag #mydressmychoice pour exprimer leur soutien à la victime. Autre exemple, la campagne #justiceforliz en 2013, elle avait été lancée à la suite d’une affaire de viol sur une jeune fille de 16 ans. Elle avait été violée par un gang et laissée pour morte, la campagne a contribué à l’arrêt de trois hommes qui ont ensuite été condamnés à 15 ans pour viol collectif et sept ans pour lésions corporelles graves.
Les réseaux sociaux ont donc un pouvoir important, le pouvoir de rallier les gens au niveau national ou international et de faire connaitre à tous des situations d’injustice. En amplifiant les voix de ceux qui contestent, ils permettent de soutenir ceux qui sont directement confrontés aux problèmes. Le pire c’est le silence. Car le silence permet aux injustices de perdurer… si tout le monde se tait, alors l’injustice continue. Se taire c’est donc être complice de l’injustice. Dans le cas de Noura, nous devons briser le silence sur la condition des droits des femmes et des filles au Soudan.
Noura Hussein, peut être un espoir pour les sans espoirs ?
Rappelons que, selon l’Indice d’inégalité de genre de l’ONU, le Soudan est classé 165ème sur 188 pays. L’ONU souligne aussi qu’au Soudan, la violence contre les femmes et les filles est considérée comme répandue. Le pays n’a pas signé la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes et dispose de faibles politiques de protection des droits de la femme. Dernier point : le Soudan, comme beaucoup de pays africains musulmans, ne considère pas le viol conjugal ni le mariage d’enfants comme un crime. La loi soudanaise autorise le mariage d’une fillette dès qu’elle atteint l’âge de 10 ans. Une femme soudanaise sur trois est mariée avant l’âge de 18 ans. Lorsque l’on prend conscience de la réalité que recouvre tous ces chiffres, qui peut envier les conditions de vie des femmes au Soudan ? On assiste à une injustice institutionnalisée.
Le cas de Noura est tellement choquant qu’il attire l’attention sur l’état des droits des femmes sous le régime oppressant du président soudanais Omar Al-Bashir. En prenant le relais, les réseaux sociaux essayent d’ouvrir le débat au niveau international. Noura n’est pas une criminelle mais tout simplement une victime. Elle est victime d’une société machiste et patriarcale, autoritaire envers les femmes et qui ne reconnait pas pleinement les droits et les libertés des filles et des femmes.
Pour soutenir Noura, merci de bien vouloir signer la pétition disponible sur Change.org. Et merci de partager et diffuser.