La Philosophie Du Jeu, Un Langage Universel

La philosophie est un jeu. Le jeu est une philosophie. De la philosophie au jeu, la frontière est légère. Du jeu en philosophie, la matière est entière. L’enjeu de cet article, c’est de philosopher sur le jeu comme langage universel, une pratique atemporelle qui sans cesse se renouvelle. Les nouvelles dans l’éducation, la formation, le sport, la santé, l’économie, la politique… lui font la part belle. A tel enseigne qu’il est presqu’impossible d’envisager un avenir sérieux, sans le jeu.

La philosophie est un jeu.

Enfant entrain de jouer avec une roue de moto @Afropolitanis

La finalité de la philosophie c’est d’apprendre de la vie, de la comprendre et de s’en détendre. Philosopher donc c’est prendre la vie du bon côté et parvenir à se détendre au milieu des tumultes de la vie. Et il n’y a rien de mieux que le jeu pour se détendre. Le jeu est un plaisir humain au caractère divin[1]. Un aphrodisiaque longtemps pratiqué pour le plaisir des Dieux[2]. Le jeu est une pratique naturelle mais éternelle. Le jeu est une étape du développement cognitif qui échappe au contrôle du temps. Peu importe votre étape de croissance, que vous soyez enfant, adolescent, jeune adulte, parent ou grand parent, le jeu est une équation omniprésente dans votre vie.

Bébé, l’un de mes meilleurs moments de la journée était la prise de bain. Un moment magique où je sautais d’excitation au contact de l’eau dans ma bassine bleu ciel. Joyeux, je battais de l’eau dans tous les sens, sous l’œil attentif de ma tendre maman, qui profitait de ce moment de bain pour avoir un peu de répit.  Après m’avoir baigné et pomponné, on m’installait dans ma voiturette-bébé où je devais apprendre à marcher, une fois de plus à travers le jeu : un parent me désignait un jouet-récompense et m’invitait à venir le chercher en marchant debout sur mes pieds. Chaque fois que j’échouais, en trébuchant ou m’asseyant, je devais recommencer de plus belle.

Enfant, le jeu était une instance de sociabilité[3], d’émotivité, de découverte et d’apprentissage. Il était difficile pour les parents de nous retenir à la maison lorsque des jeux comme la « ndamba » (football), le pousse-pion, l’Awalé ou le Ndorchi étaient pratiqués à l’extérieur. Instinctivement, nous convergions tous vers notre centre habituel de jeu : une maison abandonnée dont l’espace était soigneusement assigné à la pratique de jeux différents[4]. Dans la vaste salle du salon, un groupe de jeunes s’adonnait au jeu « tête-tête » avec une balle de football. Dans les chambres annexes, d’autres groupes d’enfants s’amusaient à des jeux très variés : le jeu de billes[5], le jeu de rôle « papa-maman »[6], la corde à sauter[7], le cache-cache, la marelle[8].

                                                                     Jeu de billes

La cour du voisin, assez spacieuse, servait de terrain de football et il arrivait que les enfants et jeunes adultes continuaient à jouer même lorsqu’il pleuvait. Ce sont des souvenirs dorés inoubliables qui contrastent avec les pratiques ludiques contemporaines favorisant davantage l’isolation, peu accessible et parfois couteux : Xbox, Nintendo, PlayStation, Internet… Je développe davantage les effets des jeux contemporains dans cette analyse.

 Le jeu est une philosophie.

La philosophie a l’art pour objet mais est aussi sujet de l’art. L’esprit philosophique, dit-on[9] souvent, est l’art de jongler avec des abstractions. Sous cet angle, le philosophe est un jongleur, qui pour réussit sa performance doit rester focus. D’où les critiques lancées à l’endroit des philosophes, qui s’intéresse à tout et au Tout (métaphysique), oubliant l’adage : qui trop embrasse, mal étreint.

Pareillement, le jeu est une philosophie, mais aussi une philosophie de la vie. Certains comme Jess Martinez, Frank Guan[10], estiment que le jeu offre un univers meilleur à celui de la vie réelle. Avec les développements de la Réalité Virtuelle et de l’intelligence artificielle, le jeu se transforme chaque jour et prend des formes jusqu’alors imprévisibles il y’a une décennie. Le jeu, sous toutes ses formes, s’est ainsi diffuser et imposer dans toutes les sphères de la vie. Il est impossible d’envisager l’avenir de l’enseignement sans les jeux dit ‘sérieux’ car ils favorisent un meilleur engagement de l’apprenant et une meilleure rétention de l’information.

Quand la philosophie du jeu entre en scène…

                                                               Deux danseurs africains @irawo

Dans le milieu professionnel,

Le jeu s’infuse de plus en plus. Des expériences[11] ont démontré qu’intégrer le jeu en entreprise[12], renforce la cohésion au sein d’une équipe (team-building), et donne une motivation extrinsèque aux employés par une mise en contexte, un côté ludique de positionnement, d’estime de soi ou d’altruisme.

Dans le milieu de la santé,

Les effets positifs du jeu sur le bienêtre, sur la santé mentale et dans le traitement de certaines maladies, a longtemps été prouvé : des ateliers jeux vidéo ont été mis en place par des infirmiers psychiatriques dans certains hôpitaux, afin d’aider les malades à sortir de leur isolement ; des maisons de retraite utilisent des consoles de jeu contrôlées par les mouvements pour favoriser l’activité physique de leurs résidents ; les personnes victimes d’un traumatisme cérébral sont rééduquées par le jeu.

En famille…

                                                                   Jouer en famille @Flickr

le jeu renforce les liens d’affection et d’amour entre les différents membres. Les enfants apprécient beaucoup ces instants ludiques mais magiques partagés avec leur parent. Peu importe le degré d’amour ou de discipline d’un parent, c’est souvent à travers le jeu que les leçons se partagent et que s’installe un sentiment de proximité, de complicité et d’intimité avec votre enfant. Si vous voulez être proche de votre enfant, adoptez une philosophie du jeu dans votre relation. Des entreprises[13] l’ont très vite saisi et se sont spécialisées dans la conception de jeux de société (Monopoly, Azzul, codenames , jeux de carte,  …) et autres jouets pouvant être utilisés avec des amis, proches…

En politique…

Le jeu a toujours existé. Le jeu comme la politique est un art. Le jeu politique tout comme la philosophie est aussi l’art de jongler avec des abstractions. Les citoyens électeurs n’ont aucune garantie certaine que le candidat battant campagne, tiendra ses promesses une fois élu. Les politiciens sont d’ailleurs de très bons orateurs, des rhéteurs devenus maitre dans l’art du discours, qui jouent avec des mots pour persuader le peuple de leur capacité à résoudre leurs maux ; qui camouflent parfois leur véritable éthos et s’appuient sur le pathos du public pour convaincre. Donc tout bon politicien est un bon joueur. Tout bon joueur aime le risque tout comme la politique est le champ des risques. Donc la politique sans le jeu perd son essence. Le « jeu » politique qui a conduit à l’élection surprise de Donald Trump est là pour nous le rappeler. Son élection a déjoué tous les « scores » et « classements » et jusqu’aujourd’hui continue à provoquer l’étonnement « philosophique » et entrainant des questionnements des plus insolites.

Dans le domaine des sports…

Deux lutteurs sénégalais

Le jeu est comme l’âme du corps. Il n’y a aucun sport sans jeu. Tout sport est un jeu codifié dont l’une des finalités est la recherche du plaisir dans le dépassement de soi. Le jeu tout comme le sport est un langage universel : les jeux olympiques et les différentes compétitions sportives nationale ou internationales comme la Coupe d’Afrique de Football, l’EURO etc., sont là pour nous le rappeler. Sur un terrain de football, il n’est pas nécessaire de parler la langue pour pouvoir se comprendre, connaitre les règles du jeu suffisent amplement. Dans un pays arabe comme l’Egypte, le sport pour moi était une plateforme de dialogue interculturel. Bien que leur connaissance de l’Afrique Subsaharienne soit faible, la majorité des jeunes égyptiens connaissaient et adoraient Samuel Eto’o Fils, une icone camerounaise du football africain.

Enfin, on a clairement pu se rendre compte de ce que le jeu est une philosophie mais aussi un art universel. La musique est un jeu de sonorités. La littérature est un jeu de lettres. La danse est un jeu du corps. La Bande dessinée est un jeu de signes. L’architecture est un jeu d’espaces et la sculpture, un jeu de formes. La peinture est un jeu de couleurs. La photo est un jeu de lumière. Le théâtre est un jeu de rôles et de représentation…

Universel, le jeu nous permet ainsi de traverser les barrières sociales[14], ethniques, culturelles, politiques, sanitaires, économiques etc. Le jeu nous apprend à nous comme aux animaux à appréhender la gestion du risque et la connaissance de nos limites dans la vie réelle. Les jeux font appel à notre aspiration à apprendre et à progresser, à surpasser les autres ou soi-même, à interagir et à découvrir. Peu importe les challenges que vous rencontrez, changer de perspective et adopter une philosophie du jeu vous permettra de voir d’autres enjeux.

 

Notes et références

[1] Jean Lambert, « Le singulier système des monothéismes », Topique no 96, no 3 (2006): 11‑22.

[2] Danièle Dehouve, « Les dieux en action. Conférences de l’année 2014-2015 », Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses. Résumé des conférences et travaux, no 123 (1 septembre 2016): 317‑24.

[3] Cédric Christian Ngnaoussi Élongué, « Effets du jeu vidéo sur la mobilité, la sociabilité et la santé des jeunes », Thot Cursus, consulté le 1 mars 2019, /articles/42633/effets-du-jeu-video-sur-la-mobilite-la-sociabilite-et-la-sante-des-jeunes.

[4] Cédric Christian Ngnaoussi Élongué, « Usages pédagogiques de jeux traditionnels africains en ligne | Thot Cursus », consulté le 19 février 2019, https://cursus.edu/articles/42599/usages-pedagogiques-de-jeux-traditionnels-africains-en-ligne.

[5] L’objectif est de dégommer la bille de l’adversaire pour gagner. Certains petits garçons y laissaient leur argent de poche. Il y’a plusieurs variantes.

[6] Il s’agit d’un jeu de rôle.  Le garçon campe le rôle du père, et la fille, celui de la mère. Ils ont souvent des enfants qui peuvent être leurs frères ou des poupées.

[7] Un jeu très rythmé. Il s’agit d’une petite chorégraphie autour d’une corde élastique tenue de part et d’autres par 2 personnes. Le tout sur des chansons que tous fredonnent.  Il ne faut surtout pas s’emmêler les pieds !

[8] Il s’agit d’un parcours ordonné (au minimum de 1 à 8) dessiné sur le sol, progressant de « terre » à « ciel ». Après avoir lancé un caillou plat, ou un petit sachet rempli de sable, les joueurs progressent alors chacun à son tour dans les différentes cases à cloche-pied. Il ne faut surtout pas se retrouver dans la case où se trouve le caillou, ni toucher les lignes entre les cases.

[9] Raymond Ruyer, « L’esprit Philosophique », Revue philosophique de la France et de l’etranger Tome 138, no 1 (18 février 2013): 7‑19.

[10] FRANK GUAN, « Video Games Are Better Than Real Life », Vulture, 22 février 2017, https://www.vulture.com/2017/02/video-games-are-better-than-real-life.html.

[11] Stéphanie Marulier, « Serious games : quel potentiel d’application en milieu professionnel ? », consulté le 1 mars 2019, https://www.vitagora.com/blog/2015/serious-games-milieu-professionnel/.

[12] Alexandre Roberge, « Les jeux vidéo et l’entreprise : une perspective très sérieuse », Thot Cursus, consulté le 4 mars 2019, /technologies/28244/les-jeux-video-et-lentreprise-une-perspective-tres-serieuse.

[13] Charles Cuvelliez, « La gamification ou comment le jeu peut changer le travail en entreprise », La Tribune, consulté le 3 mars 2019, https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/la-gamification-ou-comment-le-jeu-peut-changer-le-travail-en-entreprise-783113.html.

[14] Alexandre Roberge, « Les jeux vidéo pour acquérir des compétences sociales », Thot Cursus, consulté le 1 mars 2019, /articles/26355/les-jeux-video-pour-acquerir-des-competences-sociales.

2 thoughts on “La Philosophie Du Jeu, Un Langage Universel”

  1. J’aime le jeu, j’aime jouer bien que je sois déjà maman ! Les moments de jeu sont autant bénéfiques pour les enfants que pour les parents. J’affectionne particulièrement les jeux de ma tendre enfance qui étaient à la portée de tous les enfants. Cet article fait naître en moi le désir de divulguer les jeux que je connais aux jeunes d’aujourd’hui.

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    • Je ne pense point que le jeu soit réservé uniquement à l’enfance, c’est un “langage universel” et intergénérationel. Tout le monde se reconnait et retrouve dans le jeu. Je serai ravi de lire tes articles autour du jeu, car comme tu l’as dit, les jeunes ignorent beaucoup de jeux africains d’antan et ces jeux ne sont pas également numérisés pour en assurer la pérennisation.

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